Offrir des soins et de l’aide de qualité aux patients à domicile

Il y a plus de 14 ans, Alex et l’un de ses amis ont développé un service de soins à domicile pour la prise en charge des patients ayant des plaies chroniques. Depuis, son entreprise s’est diversifiée et prend en charge plus ou moins 500 patients au Luxembourg. Cet infirmier anesthésiste nous raconte son parcours atypique qu’il n’aurait certainement jamais suivi sans sa fibre humaine et entrepreneuriale.

Comment se sont passées vos premières années en tant qu’infirmier ?

Alex : J’ai obtenu mon diplôme d’infirmier, je devais avoir 18-19 ans. J’ai commencé à travailler à l’hôpital dans un service de cardiologie pendant 3-4 mois, avant d’aller dans le service des urgences pendant 2-3 ans, poste que je préférais parce que j’étais dans les pompiers. J’avais vraiment envie de m’investir mais j’ai remarqué qu’il me manquait encore beaucoup de connaissances pour aller dans le fond des choses. Il y avait des techniques que je ne maîtrisais pas, des connaissances théoriques que je n’avais pas et donc, j’ai décidé de retourner à l’école. Mais avant, je suis parti un an au Club Med en tant qu’infirmier et puis je suis rentré au Luxembourg pour me spécialiser en anesthésie.

Comment êtes-vous passé de l’hôpital à une activité indépendante ?

Alex : Le service d’urgence où je travaillais, a été intégré à la polyclinique où l’on prend en charge le traitement des plaies aigües, c’est-à-dire les plaies chroniques qui doivent être soignées pendant des années. Les patients venaient trois fois par semaine dans le service pour les soins. On avait alors remarqué que les plaies soignées à domicile mettaient plus de temps à guérir. Quand j’ai commencé ma spécialisation en anesthésie, cette problématique me préoccupait. J’en ai fait part à mon meilleur ami qui travaillait dans les soins à domicile et il m’a expliqué leur façon de faire qui n’était pas du tout ce que nous faisions à l’hôpital. Pendant mes études d’anesthésie, l’idée nous est venue d’appliquer ce que nous faisions à l’hôpital pour les patients à domicile. Tout en terminant ma spécialisation, nous avons mis en place un service de soins à domicile ; mon ami travaillait en indépendant et moi, je l’aidais pendant les weekends et mes congés. À la fin de mes études, on a travaillé plein temps tous les deux pendant 2,5 ans. Notre service de soins à domicile a rencontré un tel succès qu’on travaillait du matin au soir, sans vraiment prendre de congé.

Vous vous êtes donc décidé à recruter ?

Alex : Oui, parce qu’on travaillait énormément. Mais aussi, on avait remarqué des incohérences dans la prise en charge de nos patients. À ce moment-là, on ne s’occupait pas de la toilette du patient. Et donc souvent, on soignait la plaie puis on refaisait le pansement et ½ heure après, une autre personne venait pour donner le bain au patient. Et donc, le pansement était mouillé ou retiré… Il y avait vraiment des problèmes de coordination entre les services. En 2011, on a décidé de demander tous les agréments et de créer notre réseau. On a recruté des infirmières et des aides-soignantes pour être à 6, comme l’exige l’obtention de l’agrément. Les patients pouvaient alors bénéficier d’un service de soins complet, comprenant aussi la toilette. Le succès a été au rendez-vous. Fin 2011, nous étions 25. En 2015, alors qu’on était 55 collaborateurs, mon associé et meilleur ami est décédé brutalement. Je me suis alors retrouvé seul à la tête de l’entreprise. On a dû s’organiser, il fallait tout restructurer pour pouvoir continuer. Avec la réforme des actes infirmiers en 2017

Soignant est un métier énormément enrichissant et valorisant.

Quels profils ont vos collaborateurs ?

Alex : Bien sûr, des aides-soignantes et des infirmières mais aussi des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes, des infirmières spécialisées en soins de plaies, des infirmières spécialisées en soins palliatifs. Avec l’assurance dépendance, nous devons pouvoir assurer des tâches domestiques donc certains de nos collaborateurs sont femmes de ménage, auxiliaires de vie, etc. Nous avons aussi des éducateurs parce que nous avons ouvert des foyers de jour, lieux où les personnes âgées vivant seules peuvent venir la journée.

Pour l’aspect soin, nous sommes un peu plus techniques que les autres réseaux à domicile. On utilise par exemple une pompe VAC® (Vacuum-Assisted Closure) qui permet une meilleure cicatrisation des plaies. C’est un traitement d’habitude réservé aux hôpitaux que nous avons pu mettre en place à domicile. Et pour le volet « aide à domicile », nos services sont similaires à ceux d’une maison de soins avec en plus, la mise à disposition d’un jardinier pour couper le gazon ou d’autre profil pour préparer les repas, faire les courses, etc. Notre but est de favoriser le maintien à domicile aussi longtemps que possible sans que l’ensemble des tâches ne retombe sur la famille.

Avez-vous toujours des contacts avec les patients ?

Alex : De moins en moins… on a toujours des patients que j’ai soigné moi-même. Quand on a commencé à recruter en 2011, j’allais encore avec les soignants sur le terrain donc il y a certains patients qui me connaissent bien et j’aime bien aller les voir. Mais je ne vais plus sur le terrain, je n’ai plus le temps malheureusement.

Cherchez-vous du personnel en ce moment ?

Alex : Oui ! J’aimerais recruter parce qu’on manque de personnel. Et les soignants ont une chance phénoménale, certes rare dans d’autres secteurs, mais ils ont l’avantage de pouvoir choisir leur employeur, selon leurs propres critères ; certaines personnes vont préférer un travail proche de leur domicile, d’autres une bonne ambiance ou encore des challenges professionnels. Lors des entretiens d’embauche, on peut toujours tenter de concilier les envies du candidat avec ce que nous pouvons offrir dans notre structure. De nombreux postes sont ouverts. Nous recherchons des infirmiers, des aides-soignants mais surtout des aides socio-familiales.

Vous dites avoir fait votre choix d’orientation dans ce métier trop jeune. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet ?

Alex : J’avais 16 ans quand je suis entré au LTPS. J’étais peut-être un des plus jeunes élèves de ma classe. J’ai redoublé ma 2e année parce que j’étais peu appliqué. Or, ce sont des études exigeantes ; certaines choses ne sont pas faciles et il est important de s’impliquer, de travailler. Ce redoublement était nécessaire de toute façon et j’ai réalisé que ce métier-là me plaisait beaucoup.

Est-ce qu’on peut intégrer les cours plus tard ?

Alex : Tout à fait. Dans d’autres pays, un aide-soignant peut, plus tard dans sa carrière, intégrer le cursus infirmier. Ou certaines personnes vont s’engager dans une voie pendant 20 ans, comme les finances par exemple, et qui vont changer de tout au tout pour devenir soignant parce qu’ils cherchent un sens à leur vie. Et ce sont justement ces gens-là qu’il faut guider pour aller dans le social parce qu’ils voient une vraie valeur ajoutée aux métiers. Soignant est un métier énormément enrichissant et valorisant.

J’ajouterais aussi que la formation d’aide socio-familiale est accessible aux personnes qui ont éduqué leurs enfants, par exemple. Cette formation est d’un niveau moins élevé que celle d’infirmier, elle s’étale sur 2 ans, en alternance ; la personne travaille dans les soins tout en suivant des cours une journée par semaine pour obtenir un certificat qui leur permet de travailler dans les soins. Il nous manque énormément d’aides socio-familiales et je pense qu’il y a beaucoup de gens qui pourraient voir ce métier comme une opportunité professionnelle. Cette information n’est pas assez communiquée, il n’y a pas assez de publicité autour de cette formation. Et pourtant, elle donne des opportunités à tout le monde, même ceux qui n’ont pas un niveau d’étude élevé. Elle leur permet de réaliser des choses qui ont un réel impact, avec une vraie valeur ajoutée. C’est une formation sous convention collective, assez bien rémunérée.

Les soignants ont une chance phénoménale, certes rare dans d’autres secteurs, mais ils ont l’avantage de pouvoir choisir leur employeur, selon leurs propres critères.

Quel rôle avez-vous aujourd’hui en tant que directeur ?

Alex : C’est difficile de répondre parce qu’en tant que directeur, on ne fait rien de concret. On fait énormément de choses, mais pas jusqu’au bout parce qu’on on délègue presque tout; vous ne faites pas les choses jusqu’au bout parce que justement vous déléguez. Par contre, notre rôle principal est de définir la stratégie de l’entreprise, de faire en sorte qu’elle prospère, de lui assurer un futur, de garantir le salaire de mes collaborateurs tous les mois mais aussi d’appliquer la législation, que nous appliquions les bonnes pratiques de soins, que nos collaborateurs soient satisfaits de travailler avec nous, que les patients sont bien traités… Je suis aussi l’interlocuteur principal avec la CNS, les ministères. Donc, un directeur fait beaucoup de choses abstraites mais qui restent primordiales.

Et pour faire ces choses-là, est-ce que vous avez suivi des formations supplémentaires ?

Alex : Oui. Mais effectivement, j’ai obtenu un master en gestion et en économie en 2015, suite au décès de mon associé. Il est nécessaire d’avoir des notions de gestion d’entreprise lorsqu’on est à la tête d’une société de 300 personnes.

Votre formation d’infirmier vous est-elle toujours utile aujourd’hui ?

Alex : Oui, absolument. Et d’ailleurs, j’ai beaucoup de personnes qui viennent travailler chez nous parce que le directeur est issu du métier et je pense que ça fait toute la différence. Je comprends la problématique du terrain et j’arrive à me mettre dans la peau du collaborateur qui a un problème et je pense qu’ils ont aussi plus de facilité à venir m’en parler qu’à une personne qui ne serait pas du métier.

Ce qui me plait dans mon activité actuelle, c’est de voir que notre travail a eu un impact positif, qu’on a su aider le patient, qu’il est satisfait et sa famille aussi, que le soignant est non seulement sympathique mais aussi et surtout professionnel, disponible.

Et pour vos équipes, comment assurez-vous une formation à chacun d’entre eux pour qu’ils soient à jour avec les nouvelles recommandations ou techniques de soins, etc. ?

Alex : Ces deux dernières années, c’était compliqué d’organiser des formations à cause de la Covid. On a essayé d’en mettre en place en téléconférence mais ce n’était vraiment pas la même chose qu’en présentiel. Mais en temps normal, on a un plan de formation en fonction des différents métiers. Un infirmier qui travaille chez nous, par exemple, doit obligatoirement suivre certains modules qui sont proposés sur son temps de présence. Et donc, lors de sa première année au sein de l’entreprise, il suit des modules spécifiques. Aussi, on a des formations proposées sur catalogue, que les collaborateurs peuvent choisir.

Est-ce que vous participez à des colloques, des congrès ?

Alex : Oui, mais nos collaborateurs y sont plutôt réticents. Mais, par exemple, en janvier, quatre collaborateurs sont partis à un congrès sur les plaies à Paris. C’est une occasion plutôt exceptionnelle mais qui permet de valoriser les différents parcours de ces collaborateurs.

Est-ce que vous aimez votre métier aujourd’hui ?

Alex : Oui. Mais à mon niveau, je n’ai malheureusement quasi que des retours négatifs. C’est le côté moins agréable de mon travail puisque je suis confronté quotidiennement à différents problèmes. Mais ce qui me plait dans mon activité actuelle, c’est de voir que notre travail a eu un impact positif, qu’on a su aider le patient, qu’il est satisfait et sa famille aussi, que le soignant est non seulement sympathique mais aussi et surtout professionnel, disponible. Dans ma position de directeur, je n’ai pas ces retours directement. Mais quand je vais faire mes courses et que je croise des personnes qu’on a aidées, soignées et qu’on me dit que leur prise en charge était parfaite, que nos soignants étaient disponibles, gentils, qu’ils les ont accompagnées jusqu’au bout, ça réchauffe le cœur.

Le métier du soin est un travail physique, un travail de plus en plus intellectuel aussi, avec beaucoup de documentation, de réflexion mais c’est un travail énormément riche, valorisant.

Comment vous voyez-vous dans les années à venir ?

Alex : Là où nous en sommes aujourd’hui, mais avec peut-être un peu plus de collaborateurs. J’aimerais développer l’entreprise, la faire prospérer et que nos patients bénéficient de la meilleure prise en charge possible, que mes collaborateurs soient fiers et contents de travailler chez nous.

Vous prenez des stagiaires ?

Alex : Oui. On prend les élèves infirmiers du LTPS en 2e année et les élèves aides-soignants. On a de temps à autre des demandes de stages d’orientation avant d’entrer au LTPS mais c’est plus rare parce qu’on a peu de demande. Avant, on était plutôt réticents à prendre ces profils parce qu’on ne voulait pas trop confronter nos patients ou nos bénéficiaires a trop de personnes étrangères à notre service. Mais on a changé notre point de vue ces dernières années parce qu’il est important de montrer à quoi ressemble nos métiers et de faire en sorte que les stagiaires soient pris par cette passion et qu’ils empruntent cette voie-là.

On a une chance qui est inouïe avec notre diplôme d’infirmier, c’est qu’on a énormément d’opportunités.

Est-ce que vous avez des choses à que vous avez envie de dire aux personnes qui auraient envie de s’engager dans cette voie ?

Alex : Je ne pense pas qu’ils le regretteront. Les métiers du soin ne sont pas toujours faciles ; le métier du soin est un travail physique, un travail de plus en plus intellectuel aussi, avec beaucoup de documentation, de réflexion mais c’est un travail énormément riche, valorisant. On travaille avec l’humain au quotidien. Quand on aime l’humain, il n’y a pas meilleure profession que d’être dans les soins. On a une chance qui est inouïe avec notre diplôme d’infirmier, c’est qu’on a énormément d’opportunités ; on peut aller chez les pompiers, dans le soin à domicile, dans une maison de soins, on peut travailler en pédiatrie, en anesthésie, en psychiatrie ou même dans une école, on peut aussi travailler dans l’administration, créer une entreprise comme je l’ai fait… je ne sais pas s’il existe beaucoup de diplômes qui offrent autant d’opportunités !