Donner goût aux métiers des soins
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Stéphanie a reçu son diplôme d’infirmière en pédiatre en 2009. Après avoir travaillé quelques années à l’hôpital, elle a repris des études universitaires en Allemagne en 2017 pour obtenir un bachelier dans les sciences infirmières ; elle donne cours au LTPS depuis la rentrée 2019. Elle nous fait part de son expérience, l’organisation de ses cours et de la passion de son métier.
Lorsque vous avez repris vos études en Allemagne, votre objectif était de devenir professeur ?
Stéphanie : Oui. Pour pouvoir enseigner un BTS au Luxembourg, un diplôme supérieur est requis. J’ai choisi le bachelier des sciences infirmiers et au Luxembourg, j’ai dû suivre un stage pédagogique pour devenir fonctionnaire. Pour enseigner au LTPS, on peut être engagé en tant qu’employé d’État ou fonctionnaire d’État. Dans les deux situations, on doit faire un stage où l’on apprend les outils pédagogiques, c’est-à-dire la façon d’enseigner une matière aux élèves de profils différents. Compte tenu de mes diplômes, je peux enseigner différentes classes comme les aides-soignantes, les infirmiers et infirmiers en pédiatrie.
Vous enseignez à temps plein ?
Stéphanie : Oui, je suis à 100 % et la charge de travail varie sur l’année. Il se peut que je travaille moins pendant le premier semestre et un peu plus lors du deuxième semestre ; ça s’équilibre sur l’ensemble de l’année. Par moment, je donne des cours théoriques comme on les connaît dans une école puis je passe à des cours pratiques qui sont donnés dans des salles de laboratoire aménagées comme la chambre d’un patient à l’hôpital où l’on explique les différentes techniques de soins. Ces techniques sont adaptées au niveau d’étude des élèves. Elles vont de la façon de mobiliser une personne tout en respectant son propre dos et les capacités du patient, jusqu’à aider une personne à se laver, l’habiller, prendre ses paramètres vitaux comme la tension, la température, le pouls… et après aussi les soins spécifiques comme la façon de placer une perfusion, faire une prise de sang, etc. Au fil de l’année, la complexité des techniques est graduellement augmentée.
Vous suivez aussi les élèves/étudiants¹ quand ils sont en stage ?
Stéphanie : Oui, ça s’appelle l’enseignement clinique chez les élèves infirmiers ; ils bénéficient d’un encadrement sur place. En collaboration avec l’équipe qui travaille sur le terrain et en fonction de son niveau d’étude, l’élève choisit un ou plusieurs patients à prendre soins dans la matinée. On va ensemble dans les chambres, l’élève apporte les soins, nous sommes là en tant qu’observateurs, on l’aide aussi si besoin. C’est le moment où ils mettent en pratique ce qu’ils ont appris, d’où l’importance des cours pratiques à l’école ; il est important de pouvoir s’entraîner en amont. Certaines erreurs peuvent se produire pendant les cours pratiques sans qu’il y ait de conséquences, ce qui ne peut pas être le cas lorsqu’ils sont sur le terrain.
Quand un élève fait un stage, est-ce qu’il doit faire un rapport ?
Stéphanie : Oui, si son stage est à l’hôpital, l’élève choisit un patient avec l’équipe soignante. Il informe l’enseignant de son choix la veille. Il fait alors un petit rapport comprenant uniquement les informations essentielles sur le profil du patient. Le matin, avant de soigner le patient, nous menons ensemble une réflexion et des analyses puis l’élève passe à la pratique avec le patient. Pour finir, il s’évalue selon certains critères : la communication, la prestation des soins, son engagement et le jugement clinique c’est-à-dire « est-ce que j’avais toutes les informations essentielles ? Est-ce que j’ai réalisé les bonnes analyses ? », puis « comment ai-je mis en œuvre la pratique ? Est-ce que je me suis bien renseigné auprès de l’équipe ? Est-ce qu’il y avait des spécificités ou des protocoles dans le service ? ». Après cette matinée, l’élève a quelques jours pour nous envoyer un rapport écrit. Il peut donc encore corriger son travail sur base de tout ce qui lui a été communiqué ce matin-là et améliorer son rapport.
Les stages sont-ils déterminés en fonction de la spécialisation ou de certains acquis au fil du cursus ?
Stéphanie : Le cursus scolaire est bien défini ; pour chaque année, il y a un nombre précis de stages avec un nombre d’heures minimum. La Directive européenne 2005/36/CE sur la formation infirmier stipule le nombre d’heures théoriques et de pratique qu’un élève doit suivre pour que leur diplôme soit reconnu dans l’ensemble des pays européens. Et cette directive a vraiment un effet bénéfique car si je suis diplômée au Luxembourg, je peux aussi exercer en Allemagne, au Portugal et dans bien d’autres pays de l’Union européenne. Bien sûr, les infirmiers ont plus ou moins les mêmes attributions selon le pays où ils exercent. C’est pourquoi des petits examens sont parfois obligatoires avant d’obtenir l’autorisation d’exercer dans un autre pays. Ça, c’est un grand avantage pour circuler dans l’Union européenne.
Cette directive a vraiment un effet bénéfique car si je suis diplômée au Luxembourg, je peux aussi exercer en Allemagne, au Portugal et dans bien d’autres pays de l’Union européenne.
En plus de l’acquisition d’une nouvelle langue, il y a aussi le vocabulaire médical. Mon but, en tant que pédagogue, est de trouver différents moyens pour m’assurer ensuite que l’ensemble des élèves ait tout compris.
Qu’est-ce que vous aimez dans votre métier ?
Stéphanie : Le contact avec les élèves. Je suis très dynamique, je dirais aussi ouverte, communicative, et j’aime bien transmettre un savoir. Je ne veux pas qu’ils apprennent les choses par cœur, qu’ils me donnent une définition calquée sur un livre, mais qu’ils le disent avec leurs propres mots, parce qu’au début, il y a plein de vocabulaire qu’ils ne comprennent pas. Je les amène toujours à se poser des questions « pourquoi ? » et « comment ? ». C’est comme ça qu’ils vont mémoriser sur le long terme. Et aussi j’aime bien les voir évoluer. Il y en a toujours qui ont besoin de plus de temps pour comprendre, d’autres qui sont plus rapides. Les faire interagir, faire que les élèves qui ont compris expliquent aux autres, avec leur propre vocabulaire, d’une manière différente de la nôtre, professeur. Parfois, je ne me rends pas compte ; certains mots me semblent très simples mais quelques élèves ne vont pas les comprendre.
Est-ce un problème de vocabulaire médical où est-ce lié à la langue ?
Stéphanie : Il y a les deux. Il importe de souligner d’abord que les élèves peuvent s’inscrire en classe germanophone ou francophone. Donc oui, les soucis de langues sont présents dans mes classes parce qu’actuellement, je donne cours dans la promotion aides-soignants où le français ou l’allemand n’est pas leur langue maternelle. Dans cette classe, ceux qui sont dans cette situation ont d’abord appris le français en cours intensif. En plus de l’acquisition d’une nouvelle langue, il y a effectivement aussi le vocabulaire médical. Il existe différents types d’apprentissages et en tant qu’enseignante, je m’adapte à chacun et je jongle avec les outils pédagogiques que j’ai à ma disposition. Mon but, en tant que pédagogue, est de trouver différents moyens pour m’assurer ensuite que l’ensemble des élèves ait tout compris.
Vous avez encore des liens avec les infirmiers sur le terrain ?
Stéphanie : Oui parce que certains sont des amis bien sûr. Je ne connais plus toute l’équipe mais il y en a toujours avec lesquels je m’entendais bien. Et ça, c’est resté. Et maintenant bien sûr, si je viens dans le service où je travaillais avant, c’est toujours un plaisir. Je n’oublie pas ce temps-là. J’ai travaillé 10 ans à l’hôpital donc… on a passé de bons et des mauvais moments, ça crée un lien fort.
Mon but est que chaque élève ose, pose des questions quand il ne sait pas et qu’il comprenne que les choses ne sont pas toujours comme on les apprend à l’école. Le principal étant que les grands principes de sécurité et d’hygiène soient respectés.
Ça ne vous donne pas envie d’y revenir ?
Stéphanie : Je pourrais revenir travailler à l’hôpital car j’aime beaucoup le travail d’infirmière. C’est aussi la raison pour laquelle je veux donner cette passion aux futurs infirmiers ou aides-soignants.
Passer le flambeau, c’est votre motivation ?
Stéphanie : Oui, tout à fait. C’est faire passer ce que j’ai appris, ce que j’ai vu… parce qu’on apprend beaucoup. J’aime quand les élèves osent demander. Et je les encourage dans leurs questionnements, surtout lors de leurs stages. Mon but est que chaque élève ose, pose des questions quand il ne sait pas et qu’il comprenne que les choses ne sont pas toujours comme on les apprend à l’école. Le principal étant que les grands principes de sécurité et d’hygiène soient respectés. Sachant que dans chaque pays, il y a aussi de petites variations sur certaines façons de faire. Il n’existe pas de solution unique mais plusieurs et il faut savoir s’adapter au lieu de travail, au patient, etc. Je travaille aussi avec de nombreux exemples pratiques. Quand j’explique quelque chose, je lance la réflexion sur les autres façons de faire. Ça aussi, ça dépend du niveau d’étude de mes élèves. En 1ère année, c’est encore trop tôt mais après, au fur et à mesure de l’acquisition de la théorie, les élèves s’adaptent, utilisent d’autres moyens pour certaines pratiques, tout en respectant les critères de bonne pratique.
J’aime beaucoup le travail d’infirmière. C’est aussi la raison pour laquelle je veux donner cette passion aux futurs infirmiers ou aides-soignants.
En quoi votre métier est créatif ?
Stéphanie : Déjà, dans mes explications, je dois être créative. Dans les cours pratiques, l’aménagement des laboratoires n’est pas toujours identique à une chambre d’hôpital. Je fais donc avec les moyens du bord ! Par exemple, les résidents des maisons de soins portent souvent une montre alarme sur laquelle ils peuvent appeler à l’aide en cas de besoin. Dans mes cours, lorsqu’ils jouent le rôle du résident, les élèves se sont fabriqué ce type d’alarme : une compresse en boule maintenue avec du sparadrap autour de leur poignet. Et pendant l’exercice, ils me montrent qu’ils ont bien leur sonnette d’alarme. Ça par exemple, c’est de la créativité, il faut beaucoup d’imagination !
J’utilise beaucoup la littérature scientifique pour que mes cours soient à jour. Donc, je lis beaucoup d’articles.
Comment préparez-vous vos cours et notamment l’intégration des nouveautés ?
Stéphanie : Actuellement, j’utilise beaucoup la littérature scientifique pour que mes cours soient à jour. Donc, je lis beaucoup d’articles. J’ai accès à la Bibliothèque nationale de la ville de Luxembourg et à Elsevier, éditeur de littérature scientifique, pour les articles français et allemands. Grâce à mon bachelier, je sais où trouver la littérature fiable et pertinente, mais aussi les sujets sur lesquels on doit faire attention, savoir si un article est fiable ou pas… ça m’aide beaucoup. Concernant les protocoles spécifiques, je rapporte ce qu’avance la littérature tout en précisant l’importance de s’adapter, parce que ça peut varier dans chaque hôpital et les élèves doivent demander ces spécificités dans le service dans lequel ils sont amenés à travailler. Les établissements utilisent différents outils, matériels. À l’école, je leur apprends la base et après, chaque élève doit aussi continuer à se former sur place et être honnête en précisant « ça, je n’ai jamais vu. Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer ? ».
Et avec vos collègues, vous avez aussi des moments constructifs ?
Stéphanie : Oui, on se voit pendant les pauses dans la salle des professeurs ou même avant et après les cours. Si l’un de nous a connaissance de quelque chose, par exemple, une nouveauté dans un des établissements de santé, c’est toujours un sujet d’échange. Ces échanges sont importants pour transmettre le même savoir. Et les élèves aussi nous rapportent leurs expériences ; théoriquement, les élèves en 1ère année ont déjà fait un stage avant d’entrer au LTPS – enfin, pas tous, à cause de la Covid ces dernières années et donc, c’était compliqué. Donc certains me disent « mais Madame, j’ai vu que ça se faisait autrement » ou « moi, j’ai vu ci ou ça… ». Et je peux rebondir sur ces exemples et j’apprends aussi chaque jour !
Est-ce que tous les élèves trouvent leur place dans ce milieu bien spécifique, le milieu médical ?
Stéphanie : En 1ère année, quelques élèves quittent la formation. Dès que les cours théoriques commencent, ils vont voir que ce métier n’est pas fait pour eux. Lorsque j’aborde la thématique de la pudeur, par exemple, certains élèves ne peuvent absolument pas s’imaginer faire la toilette d’une autre personne ou d’accompagner un patient aux WC, etc. Donc après un ou deux mois, certains vont arrêter. D’autres attendent de voir pendant leur premier stage. Et pour ceux qui ont trouvé leur voie et qui sont bien plus nombreux, en 1ère année, il y a un stage dans la formation d’aide-soignant et deux stages dans la formation d’infirmiers. Le nombre de stages dépend aussi du degré d’études de chacun.
En général, les hommes, c’est un grand manque dans le soin d’autant plus que lorsqu’ils travailleront, c’est un plus pour une équipe.
Est-ce que vous avez des hommes étudiants ?
Stéphanie : Oui, mais jamais assez ! Actuellement, la classe où je suis régente compte 18 élèves dont 6 hommes. Mais en général, les hommes, c’est un grand manque dans le soin d’autant plus que lorsqu’ils travailleront, c’est un plus pour une équipe. Pareil pour les enseignants, on a aussi des hommes mais les femmes sont beaucoup plus nombreuses. Il y a encore beaucoup de métiers genrés. Souvent, des remarques négatives sont faites aux hommes qui suivent cette voie… Déjà même pour nous, on entend parfois des personnes nous dire « oh, je n’aimerais pas laver les fesses de quelqu’un ». Mais ce n’est pas seulement ça ! C’est l’image de la société. Qu’est-ce que vaut un soin ? Que valent une infirmière, une aide-soignante ? Notre société doit changer sur ce point de vue. Donc, aux hommes qui souhaitent entrer dans le métier, qu’ils écoutent leur cœur, c’est un métier que l’on fait avec son cœur. Ils ne doivent pas se laisser abattre par des idées préconçues. Un « merci » d’une personne que l’on vient de soigner vaut beaucoup plus qu’un bon salaire. Et la satisfaction du métier, qu’on soit soignant ou enseignant, c’est énorme ; quand mes élèves sont contents de leur formation, qu’ils ont réussi même si l’année n’a pas été facile, ils nous remercient et personnellement, ça me fait grandir. Mon rôle en tant qu’enseignante est de les pousser, je reste derrière eux, je les fais réviser, leur fais faire des exercices… avec pour objectif qu’ils deviennent de bons professionnels. La 1ère année est toujours un peu plus difficile parce qu’ils viennent du lycée technique. Les élèves apprennent à travailler avec des personnes, ils acquirent de la responsabilité. Il y a un point de vue éthique dans tout cela, l’élève ne fait pas un soin juste pour le faire mais il prend soin de quelqu’un tout en respectant la dignité de la personne soignée. C’est avec du cœur qu’on le fait. Et nous aussi, les enseignants, on prend soin de nos élèves dans le sens où on les écoute, on cherche aussi parfois à trouver des solutions pour eux. On leur apprend l’empathie.